Héloïse Martin (Mérard)'s profile

M1/P8 : La "culture de marque" entre poeisis & aesthesi

 
 
Introduction 
 
L’objectif de ce présent dossier est de mettre en perspective la notion de « culture de marque » avec la notion de « pratique communicationnelle ». Pour ce faire, nous avons donc besoin en préambule, de conceptualiser et de comprendre ce qu’implique la notion de « pratique ».
La pratique a pour signification première l’action vers laquelle la pratique tend ou résulte.    
Mais le terme « action » est lui-même à conceptualiser afin d’en découvrir les aspects multiples,
et ainsi déployer notre argumentation :
 
Aristote distingue deux types d’action . La première se nomme la praxis. Elle consiste en une action qui se veut tautologique puisque l’action praxique engendre l’action : il y a satisfaction dans le « agir pour agir ». Ainsi, on comprend que cette action a une finalité interne à elle-même.La seconde se nomme la poiesis. Cette fois, l’action poietique engendre la création et la production d’un objet extérieur, qui possède une finalité extérieure.
 
Hans Robert Jauss va réutiliser ce terme aristotéicien pour comprendre les actions dont résultent l’expérience esthétique dans Petite apologie de l’expérience esthétique[1].
L’expérience esthétique peut être selon lui poietique : il y a création d’une oeuvre ou d’un objet par l’artiste, mais elle est aussi aesthesique : cette oeuvre ou cet objet est reçu par un spectateur. L’action se décline alors de nouveau entre une action productive et une action réceptive.
En effet, Hans Robert Jauss affirme à l’encontre des conceptions d’Adorno, que la reception esthétique est toujours active, que ce soit pour une oeuvre d’art que pour un spectacle de divertissement. Enfin, elle est pour Jauss surtout catharsique, reprennant à nouveau un concept aristotéicien, qui correspond à la fonction communicationnelle et sociale de cette expérience crée et vécue. Elle vient créer un consensus entre producteurs et récepteurs afin de créer et de communiquer les normes sociales par l’identification.[2]
Ces trois concepts sont pour Jauss « les fonctions pratiques de l’expérience esthétique », et « ses trois modes d’activités fondamentales »[3] qui justifient le fait que nous sommes toujours dans la signification de la « pratique » et de  l’ « action » à travers ces concepts.
 
A la lumière de ces conceptions philosophiques à tradition aristotéicienne, on peut donc dégager du terme « pratique communicationnelle » quatre concepts, où la communication devient pratique et action de communiquer :
 
1.       La praxis communicationnelle qui corresponderait au fait de communiquer pour communiquer. C’est ce que l’Ecole de Palo Alto nomme la méta-communication, mais aussi en linguistique et sémantique ce qu’on nomme le métalangage, qui parle du langage lui-même.
 
2.       La poietique communicationnelle qui correspondrait au fait de communiquer dans le but d’extérioriser une idée, une pensée qui devient une création : par exemple un mot, mais aussi un livre, un spectacle etc... Dans cette poietique, l’objectif est bien que cette action de communication ait un effet sur l’extérieur.
 
3.       L’aesthesis communicationnelle qui corresponderait à la réception de la poietique communicationelle, sur laquelle cette dernière a un effet. Cette reception est alors considérée comme une action car elle vient elle même communiquer en retour. Cela rejoint l’idée de feedback en théorie de la communication.
 
4.       La catharsis communicationnelle qui corresponderait au fait que la communication vient construire des identifications sociales et individuelles à l’action purificatrice. Ces identifications permettent d’émettre un consensus ou au contraire un dissensus entre les deux pôles poietique et aesthesis, pour ainsi définir des normes et des identités.
 
On va ainsi se demander dans quelle mesure la notion de « culture de marque » peut être comprise comme pratique communicationnelle à travers les quatres concepts de praxis, de poeisis, d’aesthesis, et de catharsis ?
 
Pour ce faire, nous allons voir dans un premier temps, combien la « culture de marque » est une poiesis par les marques, qui viennent produire des contenus et des produits culturels. Or, nous en démontrerons les limites car cette poeisis semble en réalité être une praxis marketing. La « culture de marque »  semble elle-même être un concept crée et produit par les marques dans une stratégie de valorisation. Dans ce cas, ce concept n’aurait aucun objet en dehors de lui-même et se viserait lui-même tautologiquement.
Ensuite, nous verrons dans un second temps, combien la « culture de marque » s’élabore dans sa dimension aesthésis. Cette culture est reçue par les consommateurs qui vont en faire l’expérience activement, puisqu’ils vont eux-même agir dans cette aesthésis en interprétant, en s’appropriant et en détournant l’objet poietique des marques.
Enfin, nous terminerons en ouvrant sur le fait que la « culture de marque » serait avant tout une ressource catharsique : elle est source d’identificiations sociales et individuelles construites par les marques poietiques, comme par les consommateurs aesthesiques. La « culture de marque » serait donc un des lieux où se joue la construction et la déconstruction de normes et d’identités.
 
 
I. La culture de marque : entre une poietique (production et création) culturelle des marques, et une praxis tautologique du concept marketing.
 
 
A.      Les marques deviennent productrices et créatrices d’objets et de contenus culturels jusqu’à former leur propre culture.
 
La notion de « culture de marque » ou de « Brand Culture » est devenue incontournable dans le secteur de la communication et du branding. Il suffit de voir le nombre d’articles journalistiques de magazines spécialisés comme Stratégies, CbNews ou Influencia, qui  écrivent sur ce sujet, afin de se rendre compte de l’ampleur qu’a pris ce terme depuis ces dernières années.
 
Pourtant, ce terme vient englober un terme plus ancien, propre au jargon marketing, explique Daniel Bo dans un article d’Influencia[4] qu’est le Brand Content.
Comme le terme le souligne, c’est bien le contenu qui est devenu important aujourd’hui pour les marques, ce que dit Daniel Bo dans l’article : « Mais de l’avis général, quelque soit le terme retenu, l’avenir de la communication des marques passe par le contenu »4. Le contenu semble être devenu le nouvel eldorado pour la communication des marques. Pourtant, en réalisant des publicités avec des histoires plus ou moins narratives, les marques étaient déjà productrices d’un contenu : le contenu publicitaire. Aussi les marques avaient déjà pour habitude de venir parrainer des contenus extérieurs à elle-même, par exemple en étant le partenaire d’une exposition culturelle ou d’une émission TV. Mais dès lors nous sommes dans du « Branded Content » explique Daniel Bo et non du « Brand Content ». Car le Brand Content, c’est du contenu directement réalisé et surtout édité par la marque. Le contenu doit alors être désinteressé afin d’attirer son public, et donc ne plus avoir une posture publicitaire. La critique artiste expliquent Boltanski et Chiappelo dans Le nouvel esprit du capitalisme, réclame d’avantage d’authenticité. Le capitalisme et donc les marques viennent réintégrer cette critique à leurs propres comptes en proposant des contenus plus authentiques car désintéressés.[5] Dans cette perspective, les marques cherchent à travers le Brand Content à offrir des contenus gratuits, divertissants et utiles. Par exemple, M6 Mobile vient de sortir en janvier 2014 une webserie se nommant « En mode Faux plan » pour les 15-25 ans et la Banque Postale, une webserie « «#Comme le disent » pour les trentenaires. Cette poiesis marketing n’est pas récente malgré les apparences, puisque dès le début du XXème siècle, les frères Michelin deviennent éditeurs en 1900 d’un guide touristique et gastronomique qui existe toujours aujourd’hui : le Guide Michelin.  Dans cette volonté d’authenticité, la marque se doit d’être discrète et ne doit pas proposer de contenus directement à son propos, ni sur ses produits, ni sur les services qu’elle commercialise. Daniel Bo vient dire que « le brand content élargie le discours au delà du message commercial »[6]
 
Le Brand Content c’est aussi « des marques qui deviennent des médias » titre Les Echos en février 2011.[7] Ce serait d’après l’article, le numérique et particulièrement Internet qui vient brouiller les « frontières entre marques et médias, entre contenus éditoriaux et commerciaux »7   Effectivement, de nombreuses marques éditent leurs contenus produits, non pas sur des supports médiatiques extérieurs, mais en créant leur propre support médiatique. Red Bull a crée sa propre chaine de télévision où il propose des émissions sur les sports extrèmes. La Macif propose un magazine pour ses abonnés.
Les marques développent donc leur facteur poiesis en produisant certes des contenus désintéressés et soit disant authentiques, mais aussi en créant des objets. Ces objets ne sont pas les produits qu’ils viennent commercialiser sur leurs marchés, ni des dérivés de ces produits, mais sont des objets culturels qui ont pour fonction d’incarner ce contenu authentique, gratuit et utile. Par exemple, avec le Guide Michelin, la marque de pneumatique va certes produire des contenus en conseillant et en recommandant certaines adresses, mais surtout en éditant un livre. Cette création d’objets matériels n’est elle non plus pas récente, puisque les marques dès le 19ème et le 20ème siècle ont bien compris que pour fidéliser leurs clients, elles pouvaient leur offrir un cadeau bonus.La marque Poulain est emblématique de cette stratégie avec ses images à collectionner. La marque vient alors ouvrir une imprimerie, ce qui est une activité totalement hors de son secteur de la chocolaterie.
Mais aujourd’hui, les contenus et les objets proposés sont de plus en plus immatériels avec le numérique. C’est pourquoi Interne ta démultiplié le Brand Content. Cette poiesis marketing devient plus facile, plus flexible, plus ponctuelle et moins lourde financière. Les marques viennent proposer des magazines en ligne, comme le webmagazine Dior Addict, des webTV ou des webRadio. De plus, avec le numérique et Internet, les contenus se diversifient : les marques proposent des jeux vidéo, comme Game On, un jeu de tennis pour smartphones, de la marque de voiture Kia.
 
Avec le Brand Content, les marques sont devenues totalement poietiques : elles créent, produisent et éditent des contenus qui sont utiles, divertissants et gratuits. Cette création est toujours extérieure à la marque : à la fois extérieur à son secteur d’activité et à son marché, mais aussi extérieur car il y a un support, un objet ou un produit qui en résulte : un magazine, une websérie etc. Cette création est donc médiatique et culturelle . La poietique du Brand Content peut donc être matériel ou immatériel, ce qui apporte un sens nouveau au concept aristotéicien « poiesis ».
 
Cette expansion du Brand Content vient s’inscrire dans un mouvement plus large qu’étudie les théories des industries culturelles et créatives. Il y a un mouvement de convergence notable entre les industries culturelles et les industries de l’information note Bernard Miège dans sa « Postface à la seconde édition » de Capitalisme et industries culturelles. En effet, on constate que les industries de l’information, c’est à dire les industries médiatiques, viennent à proposer des produits culturels.  Par exemple, le magazine Les Inrockuptibles crée et propose en bonus chaque année un CD de compilation des meilleurs tubes du moment. La radio Nova, crée pour sa part son festival de musique « Les Nuits Zébrées ». Il y a aussi note Granhams et Trembray, une convergence entre hardware et software. Par exemple, Apple a très bien compris cette stratégie de convergence, en proposant sur ces Ipad et Mac, des applications diverses. Aujourd’hui, les supports matériels et informatiques ont besoin pour se vendre d’être accompagnés de contenus. Amazon vient intégrer dans son nouveau Kindle Fire une encyclopédie universitaire et un comparateur de prix en supermarché. Dans toutes les industries, on constate donc qu’il y a une volonté d’ajouter du contenu pour ajouter de la valeur à un produit industriel. Le contenu est donc devenu une stratégie marketing puissante, ce qui explique pourquoi l’action poietique s’amplifie au sein du marché capitalistique.
 
Mais le Brand Content vient petit à petit être remplacé par un autre terme qui lui semble supérieur qu’est la Brand Culture, comme l’exprime l’article de Nicolas Bordas, vice-président de l’agence de publicité TBWA :  « Et si on passait utilement du Brand Content à la Brand Culture ». La Brand Culture est en France une notion qui a été populariséd avec l’ouvrage de Daniel Bo « Brand Culture, développer le potentiel culturel des marques » en 2013. Daniel Bo, PDG de l’agence d’études et de tendances QuantiQuali, était déjà une des figures phares de la notion de Brand Content vu précédemment. Ce livre ne serait donc que le « prolongement de Brand Content sorti en 2009. »[8] Il distingue Brand Content et Brand Culture en disant :
« Le brand content correspond à la prise de conscience que les marques peuvent devenir des médias en élargissant leur discours au-delà du message commercial. Avec la brand culture, on élargit encore le regard sur la marque en s’intéressant à sa réalité multisensorielle faite d’objets, de techniques, de sons, d’implication physiologique en la considérant comme une réalité sociale partagée non exclusivement discursive. » [9]
Or, comme le souligne Georges Lewi dans un de ses articles[10], le Brand Content possède déjà cette dimension immatérielle comme nous l’avions démontré plus haut. Le Brand Content propose effectivement à travers ses contenus et les supports de ce contenus, une expérience multisensorielle fait d’objets – comme un livre - , de technique – comme un application intéractive -, de sons  – comme un jeu vidéo ou une webserie – bref autant « d’implication physiologique » dont parle Daniel Bo.
La Brand Culture ne semble donc pas réellement  se distinguer du Brand Content au niveau de la réception du consommateur (dimension esthésis auquelle nous viendrons par la suite). En effet,  ce dernier fera dans les deux cas, une expérience supplémentaire au message de marque,  à travers des contenus materiels ou immateriels, culturels ou médiatiques.
 
Dans ce cas, nous pouvons nous demander si la « culture de marque » ne propose t-elle pas une poiesis différente du « Brand Content » ?
 
La Brand Culture est définie selon Daniel Bo comme une stratégie marketing. Elle se crée et se construit minutieusement. Cette Brand Culture est donc poietique car elle doit être produite et crée pour exister extérieurement. Cette poietique est effectivement particulièrement c   ar pour créer une « culture de marque » il faut dit Daniel Bo effectuer « pilotage culturel »[11].
 Ce pilotage culturel demande une analyse puis une création de la « culture de marque » en trois temps. Il faut tout d’abord analyser les « sources culturelles »11 de la marque pour ensuite déterminer une  « idée culturelle »11 qui en découle.
Par exemple, dans l’analyse des « sources culturelles » de la marque Sushi Shop, l’analyste retiendra un lieu géographique qui est le Japon afin qu’en découle une « idée culturelle » qui est l’esthétisme japonisant. Quand à la marque Nike, sa « source culturelle » est son histoire liée à des exploits sportifs réalisés par des athlètes portant la marque. L’ « idée culturelle » devient l’héroisme pour Nike.
Cette idée culturelle, fondatrice de toute la stratégie, va ensuite se déployer sur une multitude de « supports culturels »11 : publicités, produits, sons, boutiques, humains etc. tout en gardant une cohérence pour former « une culture ».
Par exemple,  à travers les publicités héroiques, le produit Nike + pour calculer ses performances sportifs, et les slogans de coaching écrits sur les murs des NikeStore, Nike vient former une « culture de marque » qui est « la culture du dépassement de soi par le sport » (toujours selon Daniel Bo).11
La stratégie culturelle pour les marques se résumerait donc en cette équation :
« idée culturelle » + « supports culturels » = « Culture de marque ».
 
La Brand Culture semble donc bien avoir une poietique différente de celle du Brand Content. 
Cette poietique, comme création et production externe de contenu, serait pilotée par une idée culturelle interne à la marque, puisque provenant des sources culturelles de la marque. Il y aurait donc d’abord une action interne à la marque, qui serait de révéler l’idée culturelle dans un sens platonicien : non pas connaitre, mais reconnaitre cette Idée déjà prééxistante au sein de la marque. Pour qu’ensuite il y ait action poietique de création, voire d’incarnation de cette idée dans le monde sensible avec les supports culturels comme les publicités, les produits, les scénographies des magasins etc. Or, si la Brand Culture se différencie du Brand Content par ce recours à une action interne d’analyse préalable à l’action de poiesis, alors la Brand Culture se caractérise par une action de praxis.
 
 
B.      La « culture de marque » comme stratégie de communication : une tautologie et un paradoxe ?
 
Il existe une limite conséquente au fait de considérer le concept de « culture de marque » comme une stratégie marketing, vision de Daniel Bo et de nombreux journalistes. C’est le fait que ce concept ait été construit et crée par des marketeurs, dans un but marketing et à destination de marketeurs. C’est ce qu’on constate dans la description du livre « Brand Culture » aux Editions Dunod, qui précise que ce livre est classé comme ouvrage professionnel à destination « des annonceurs, des agences de communication, des médias et des étudiants en communication ». D’une part, ce livre est destiné à un usage professionnel c’est à dire afin de mettre en pratique cette stratégie marketing et de communication ; et d’autre alors ce "concept" n’est perçu que par le prisme des acteurs de la communication, des médias et du marketing.
 
On peut alors se demander si ce "concept" a une réalité en dehors de ce cercle de professionnels et d’étudiants en marketing/communication ?
 
Et c’est là tout le problème de ce "concept" qui n’a de sens univoque que dans le milieu où il a été produit.
C’est pourquoi, la signification de ce terme et la réalité qu’il recouvre fait débat, car la définition de culture est à l’origine différente d’une sphère à une autre, d’un pays à un autre, et d’une époque à une autre.
Parler de "Brand Culture" aux Etats-Unis et en Angleterre, où les premiers ouvrages sur ce thème ont été édités dès 2006, proposent de comprendre cette Brand Culture d’avantage comme un « esprit de marque », une « philosophie de marque », qu’une « culture ».
 
C’est bien tout l’enjeu contemporain de la notion de culture que souligne Denys Cuche dans La culture dans les sciences sociales au chapitre 7, qui est utilisé de manière trivial comme lorsque culture devient synonyme d’esprit. Les grandes écoles ont par exemple effectuer un glissement entre « L’esprit polytechnique » vers « La culture polytechnique », terme employé aujourd’hui aussi bien par les étudiants que par la communication de l’école en question. Cela permet explique t-il de valoriser et de rendre universelle, un objet ou une pratique qui est en réalité prosaique et particulière.
 
Dans le cas de la « culture de marque », nous sommes exactement dans la même recherche de valorisation et d’universalitation. La poesis de ce terme ne recouvre donc pas une réalité anthropologique, car comme le mentionne D. Cuche « ces pratiques (...) comme la culture du micro-ondes (...) ne peuvent pas être assimilés à ces systèmes globaux d’interprétation du monde et de structuraliation des comportements, à ce que l’anthropologie entend par culture »[12] Mais la praxis de ce terme vient dévoiler la réalité d’un mouvement de « culturalisation des marques ». Cette « culturalisation des marques » s’intègre dans un mouvement plus large que décrypte Lash et Lury dans Global Culture Industry[13]. Ces auteurs de la théorie des industries créatives, viennent démontrer combien il y a une « culturalisation de l’économie » générale. L’économie avec les industries créatives, viennent prendre comme lévier la création mais aussi la culture. Ainsi, pour se valoriser et être à nouveau plus authentique et véridique, comme le souhaite la critique artiste dont parle Boltanski et Chiappelo, l’économie cherche à devenir culturel.
 
On comprend donc que  « la culture de marque » est avant tout une praxis avant d’être une poeisis, car sa première finalité n’est pas de produire et de créer des objets, des contenus et des supports culturels cohérents, mais est une finalité interne, qui se vise elle-même. La stratégie de « culture de marque », vient culturaliser les marques pour les valoriser et donc rendre légitime les discours de « culture de marque ». Cette réflexion est donc tautologique. On peut même dire qu’elle est paradoxale, car au final la culture de (la) marque se présente comme pré-existante avant l’analyse stratégique, puisqu’il serait possible de puiser une idée culturelle dans les sources culturelles de n’importe quelle marque, si l’on suit le raisonnement de Daniel Bo.
Et en même temps, on ne peut parler de « culture de marque » sans qu’elle n’ait été construite, élaborée, et « pilotée » par des stratèges et des marketeurs. Elle existerait donc à la fois avant l’intervention du marketing et uniquement par l’intervention du marketing. 
 
Or, il est important de ne pas brouiller la frontière entre le fait qu’une marque « soit une culture » et qu’une marque « possède une valeur culturelle ». En effet, les marques possèdent une valeur culturelle, car elles viennent s’intégrer dans une culture. Et pour qu’elles continuent à vivre, les marques ont besoin de s’adapter aux cultures dans lesquelles elles s’intègrent. Ce que démontre Georges Lewi dans sa critique « Non à la Brand Culture », c’est le fait qu’il y a aussi une différence fondamentale entre le fait que les marques fassent des emprunts culturels et entre le fait qu’elles soient elle-mêmes considérées comme une empreinte culturelle.
 
 
 
II.  La culture de marque : avant tout une aesthésis (réception) active : détournements et appropriations des consommateurs de la poietique culturelle des marques.
 
A.      L’aesthesis en théorie
 
La « culture de marque » perçue dans une vision stratégique de communication, se conçoit comme une production et une création d’objets par le pôle de production que sont les marques, les agences de communication etc. Or, comme le démontrait Michel De Certeau dans L’invention du quotidien, arts de faire, il existe des actions très discrètes n’ayant pas encore atteint leurs cohérences pour être visibles, au niveau de la réception. Cette réception est donc bien active, ce que signifie le concept d’aesthesis. Et cette action se distingue bien du concept poesis car comme l’explique De Certeau, il y a création dans la réception, mais sans qu’elle ait un objet (extérieur). Cette création existe dans la manière d’utiliser les objets et du donner du sens.
Cette conception est une rupture paradigmatique puisqu’il postule que le récepteur n’est plus passif face à la production, comme le soutenait les théories béhavioristes de la communication, mais qu’il est actif et acteur de la communication, tout autant que la production, mais de manière différente. Comme le dit Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé, cette liberté doit être postulée. J. Rancière va alors beaucoup dénoncer le théatre critique de Brecht qui postule que le spectateur doit être réveillé de sa passivité par le théatre. 
 
Le paradigme de la passivité de la réception était alors commun au cadre théorique de l’art avec les théories de l’Ecole de Frankfort, et au cadre théorique de la communication avec Laswel, tout deux dans les années 20.
Dans la « culture de marque », on pourrait considérer alors que cette stratégie marketing étant très complète et cohérente, est alors très éfficace, et vient être un élément fondamental pour qu’une marque puisse vendre à long terme ses produits. Dans cette vision, les Apple-Addicts sont perçus comme accros aux produits Apple car idolant la « culture Apple » comme un absolu. Adhérer à une « culture de marque » serait donc synonyme de fétichisme, d’idolation de la part des consommateurs, et donc en conséquence d’une passivité voire d’une alienation certaine. La « culture de marque » viendrait alors reproduire les rapports de classe : entre une production qui a le pouvoir et une réception qui en est démuni, entre une classe bourgeoise capitaliste et une classe populaire consommatrice.
 
Ces clivages ont été énormément critiqués que ce soit au niveau des médias, qu’au niveau culturel en général. Bourdieu, qui a théorisé l’homologie entre position social et pratique culturelle, a par exemple été critiqué par Paseron et De Certeau sur ces points. Paseron reprochait à Bourdieu de considérer la classe populaire dans une misère culturelle. De Certeau quant à lui, lui reproche de ne pas prendre en compte la richesse des pratiques, de l’inventivité et des marges de manoeuvres que réalise la réception.
C’est tout aussi le cas pour la « culture de marque ». Les consommateurs vont être actifs à la réception en ayant des usages multiples du produit de la marque ; usages qui viennent soit contribuer au contenu de la marque, soit au contraire résister aux usages prescrits par la marque. Prenons un des exemples emblématiques d’une « culture de marque » selon Daniel Bo  :  la « culture Nespresso », et regardons la sous le prisme de la sociologie des usages. Dans la « culture Nespresso », il existe en réalité de nombreuses pratiques par ses consommateurs dissonantes à cette culture, comme le fait d’utiliser des capsules d’une autre marque au sein de sa machine Nespresso, ou utiliser plusieurs capsules afin de remplir un bol car ce qui n’est plus un espresso. Ces pratiques multiples des consommateurs sont pour la marque parfois perçues comme une menace, c’est le cas de l’utilisation des capsules concurrentes. Ou bien elles sont perçues comme une richesse d’inspirations marketing et communicationnelles : Nespresso pourrait très bien intégrer fictivement une fonction « bol » et non plus « tasse » comme idée pour un spot publicitaire, ou intégrer cette fonction réellement au sein  d’une nouvelle génération de machine à café.
 
La théorie de la sociologie des usages vient montrer combien ces pratiques et ces usages sont parfois refusés par la production. C’est ce qui est arrivé avec le réseau social Friendster.Les utilisateurs avaient crée un nouvel usage qui n’avait pas été prévu et qui ne fut pas autorisé par les concepteurs du réseau : inventer des fausses pages – Fakester – de personnages fictifs, pour pouvoir se lier d’amitié avec des inconnus sur la base de ce centre d’intéret commun. S’en est suivi une chasse au fakester, ce qui a valu au réseau social de perdre tous ses internautes actifs pour finalement fermer. Au contraire, le cas du Minitel montre combien des concepteurs qui ont accepté le détournement d’usage initié par les utilisateurs, ont permis au réseau de se démultiplier.
 
Les marques ont aujourd’hui bien compris l’enjeu des usages-consommateurs.
Mais ces usages consommateurs ne sont pas intégrés dans la stratégie marketing de « culture de marque » que propose Daniel Bo, ce qui fait lacune. La « culture de marque » est certes en interaction avec son environnement nous dit Daniel Bo, mais elle est surtout modifiée, transformée et re-crée à partir des consommateurs par leurs usages. La « culture de marque » est donc avant tout une culture participative et une culture collective.
 
C’est ce processus de participation et de collaboration qu’a conceptualisé Henri Jenkins comme « partipatory culture ». Les caractéristiques de cette culture partipative et participante est qu’elle propose une participation facile d’accès avec un soutien tutoriel si besoin, un fort encouragement à la création et à la circulation de ces créations, et enfin l’apologie du contributeur qui est une figure centrale à la culture.
Cette « participatory culture » est aujourd’hui utilisée par les industries culturelles, qui cherchent à créer des fandoms. Evidemment, les marques cherchent elles aussi à engager son consommateur en le faisant participer, à des jeux concours, à des flashmobs etc. Mais avec la « culture de marque », le consommateur peut venir participer en contribuant à la culture. C’est tout l’enjeu du Transmédia Storytelling dont parle Jenkins dans Convergence Culture. Les médias, les industries culturelles, tout comme les marques, viennent proposer à leurs consommateurs de rassembler différents éléments sur différentes plateformes médiatiques (différents « supports culturels » dirait Daniel Bo), afin de re-construire une histoire cohérente à la marque.
 
Par exemple, la culture de marque RedBull, vient se disperser sur différentes plateformes comme une publicité, une chaine de télévision, un concert. Dans la vision de Daniel Bo, ce qui rend cohérent ses différents « supports culturels » c’est l’analyse en amont qui a produit une idée culturelle pour réaliser la stratégie de la marque : « RedBull donne des ailes ». Mais dans la vision de l’aesthesis que nous voyons actuellement, la cohérence entre ses différentes plateformes vient être en réalité crée et interprétée par les consommateurs qui vont ainsi écrire une histoire de la marque, parfois conforme à celle du marketing, et parfois différente.
Les consommateurs pourront se dire selon les âges et selon les personnalités : « RedBull c’est le sport avant tout », « RedBull c’est la transgression » ou encore « RedBull ca a mauvais goût en général ». Ces phrases en publicité se nomment des insights consommateurs. Ils viennent déceler le point de vue du consommateur sur la marque. Ces insights sont donc une mine de renseignements pour le marketing qui vient les réintégrer dans ses stratégies. Ainsi, la « culture de la marque » se construit surtout en fonction de la manière dont elle est perçue, en fonction de l’interprétation réalisée par les consommateurs.
 
Les consommateurs peuvent contribuer d’avantage à la « culture de la marque » en se l’appropriant, c’est-à-dire en la faisant sienne. Lorsque la « culture de la marque » est identitique à la « culture du consommateur » ciblé, il y a effectivement de grandes chances pour que la marque rencontre un succès auprès de cette cible. C’est pourquoi, le marketing vient faire des tests consommateurs, des analyses de tendances, ou encore définir des cibles types. Mais en réalité, c’est lorsque le consommateur vient accepter la marque pour la l’intégrer à sa culture, que cette marque devient une culture forte. Car la marque dans ce cas devient la culture du consommateur, non plus une culture pour le consommateur. C’est alors souvent le cas avec les sneakers.
 
B.      L’aesthesis comme objectif de recherche : les sneakers comme terrain.
 
Le terme sneaker vient signifier à l’origine, le fait qu’une chaussure de sport ait été détourné afin d’être une chaussure de ville. Aujourd’hui le terme s’est banalisé, puisque même Lanvin vient proposer des sneakers, qui évidemment n’ont pas été pensé, ni conçu pour le sport mais bien pour la ville. Mais des marques comme Nike, Adidas ou Vans continuent à jouer sur cette ambivalence ou cette double utilisation : à la fois pour la ville que pour le sport.
 
On remarque par exemple que Nike vient distinguer dans son magasin, un rayon Running – des chaussures spécialement conçus pour courrir-,  et un rayon Lifestyle – des chaussures pour tous les jours -. Sa stratégie marketing serait donc de se positionner comme avant tout comme une marque de sport, pour courir avec le rayon Running, ou pour le basket avec des corners spécifiques et une gamme spécifique qui est la Jordans. En effet, nous avons vu précédemment que l’ « idée culturelle » qui serait fondamentale dans la stratégie marketing de Nike est le « dépassement de soi par le sport ».
 
Il me semblerait que les chaussures Nike sont en réalité utilisés plus couramment comme chaussures de ville, que comme chaussure de sport. Ce serait un premier détournement possible de la stratégie de « culture de marque » chez Nike. J’aurai donc besoin de récolter des opinions de consommateurs sur la fonction première des sneakers, afin de constater si cette fonction correspond à la stratégie marketing de la marque ou si elle est consciemment ou non différente.
 
Les sneakers ont dans leur histoire été des emblèmes pour des subculture ou des cultures émergentes comme le hip-hop. RMC, un groupe d’hip hop en 1986 portaient des Adidas sans leurs lacets, comme signe de rebellion face à la société. Quelques années plus tard, un accord fut passé entre Adidas et le groupe de hip-hop qui créa une chanson « My adidas ». Comme le démontre Hebdige dans la deuxième partie de son livre « Subculture,the meaning of style », les groupes subculturelles sont souvent assimilé par les marques, en faisant de cette subculture un produit marketing.  Le groupe par exemple portait ses Adidas sans lacets, ce qui est une forme de détournement explicite de la fonction et du produit en lui-même. Ce qui pouvait être signe  de résistance et de provocation transgressive, ce groupe a par la suite utilisé ce détournement et la marque comme signe identitaire. Ce sont ces résistances et ses détournements que je souhaite analyser dans mon terrain.
 
III.  La culture de marque : coopération et consensus par la catharsis et son rôle d'identification :
 
La catharsis a pour signification initiale une action purificatrice, pronée par Aristote au sein de la tragédie pour purger les hommes de leurs passions et ainsi maintenir l’équilibre de la vie de la Cité. Cette catharsis a été par la suite rejeté par l’Ecole de Francfort qui y voit le moyen d’endormir les esprits critiques. Par exemple, pour Brecht, la catharsis a un effet anesthésique. Elle fait vivre au spectateur une hyperesthesie en lui faisant vivre fictivement des passions, pour qu’ensuite le spectateur soit anesthésier de ses passions. La catharsis vient selon lui endormir les passions et rendre inactif le spectateur à la suite du spectacle. Hans Robert Jauss dans sa Petite Apologie de l’expérience esthétique, vient réhabiliter cette fonction de catharsis comme fondamentale à toute expérience esthétique. La cartharsis pour Jauss vient donner une valeur de communication à l’expérience esthétique, car donne à l’oeuvre la « possibilité de donner des normes à l’action pratique sans les imposer, en sorte que c’est seulement le consensus des sujets percevants qui leur donne valeur d’obligation ».[14] Pour Jauss, la catharsis possible par l’identification offre la possibilité au spectateur de prendre du recul sur les rôles sociaux imposés et ainsi renouveler son rapport au monde. L’art permettrait ainsi de dépasser la sphère du loisir pour s’intégrer dans la vie sociale.
 
A travers ce prisme, on pourrait penser que la « culture de marque » n’a rien à voir avec cette action cathasique purificatrice et libératrice. Pourtant, nous avons vu que la « culture de marque » peut être considérée comme une expérience cohérente et unifiée. Cette expérience vient dévoiler les identifications construites aussi bien par les marques que par les consommateurs.
 
Dans le sens de Brubaker dans Au delà de l’identité15, l’identification est bien une dynamique sociale.
Ces identifications ne sont jamais certaines, car elles sont en lutte et en permanence renégociées.
On peut constater dans un premier temps que la « culture de marque » en tant que stratégie marketing,  vient montrer une auto-identification[15] que se font les marques sur elles-même. Pour Nike par exemple, son auto-compréhension15 et son auto-identification est celle d’une marque qui pense et qui croit que le sport permet de se dépasser.  Les marques vont aussi  dans une logique de « culture de marque » comme stratégie marketing imposer des identifications à ses consommateurs. Ces indentifications sont des labellisations sociales externes explique Brubacker. Pour Nike par exemple, le marketing va identifier ses consommateurs comme des jeunes sportifs, urbains, CSP+ etc.
 
Mais il y a un jeu et une lutte entre ces identifications marketing et les auto-identifications que les consommateurs se construisent à travers la « culture de marque ». Pour Nike par exemple, les consommateurs en détournant les produits peuvent s’identifier comme un groupe subculturel – ce fut le cas du groupe de hip hop RMC – ou comme une personne avant gardiste, résistante ou dans la tendance. Elles vont donc s’approprier et détourner les catégories identificatrices pour les utiliser à leur propre compte et ainsi construire leur propre image sociale.[16]
 
Enfin, les consommateurs vont eux-même produire des identifications de la marque. Pour Nike, par exemple les consommateurs pourront percevoir la marque comme « chère », « à la mode », « trop marketing », ou encore « pour les hommes uniquement ». Il y a donc un jeu d’identifications à travers la « culture de marque ». Ces identifications sont co-construites par les deux pôles, que ce soit la marque poietique que ses consommateurs aesthesis.
 
Au sein de la « culture de marque », les marques vont donc comme le dit Jauss « fournir des normes à la vie pratique »14 en donnant des noms à leurs produits, mais surtout des fonctions et des usages spéciques ; mais « sans jamais les imposer »14 totalement puisque la marque souhaite en réalité qu’il y ait un jeu, de réappropriation, de détournement et de résistance. Par exemple, les lacets sont fait pour être défait, il n’y a rien qui empêche cela. Car comme l’explique Boltanski et Chiappelo, c’est par la critique et par la résistance que le capitalisme grandit. Les marques elles-même ont besoin de résistance pour croitre, afin de continuer à se renouveller en récupérant cette critique et ses détournements à son propre compte.
 
Finalement, c’est bien « seulement le consensus des sujets percevants »14 c’est à dire le consensus des consommateurs et des marques dans notre cas, qui vont donner à certaines normes « valeur d’obligation »14. . Par exemple, il y aura un moment où le détournement ne sera plus accepté socialement. La fonction d’une chaussure ne pourra pas être détournée afin d’être mis sur la tête pour se protéger du soleil. Car cela n’a pas de sens. Et les consommateurs par consensus entre eux et avec les marques, vont co-créer les normes sociales de ce qui fait sens, de ce qui est accepté ou non.
 
La « culture de marque » est donc bien catharsique dans le fait que par cette co-construction d’indentifications mutuelles, et cette co-création de normes sociales ; les consommateurs expérimentent leurs limites entre le Nous et les Autres, entre Soi et la Société. La « culture de marque » permettrait donc en effet une action purificatrice et libératrice , non pas des passions, mais bel et bien des tensions et des interrogations internes, qui peuvent ainsi s’extérioriser et prendre forme dans une « culture de marque » comme terrain fertile, de jeu, d’expérimentation d’identité, de résistances, de créativité et d’inventivité...
 
 
 
Conclusion
 
Pour conclure, il est tout à fait possible et pertinent de considérer la notion de « culture de marque » comme une « pratique communicationnelle » à travers les quatres concepts philosophiques dégagés de « pratique » : poietique, praxis, aesthesis, catharsis.                                
 
Cette « culture de marque » vient dévoiler la dimension poietique des marques, qui deviennent de plus en plus productrices et créatrices de contenus et d’objets culturels. Mais il est nécessaire de soulever les limites de ce concept qui selon la définition de Daniel Bo, est avant tout une stratégie marketing en tant que « pilotage culturel ». Dans ce cas, le concept de « culture de marque » peut se révéler avoir une dimension avant tout de praxis, car le concept vient se légitimer lui-même. Cette notion semble donc tautologique, voire paradoxale puisqu’elle serait à la fois pré-existante à la stratégie marketing, tout en ayant besoin d’être construite par le marketing. Ces limites nous démontrent combien le terme de « culture de marque » reste critiquable. Dans cette perspective critique, on constate que ce concept vient démontrer, non pas qu’une marque possède dorénavant sa culture, mais que les marques cherchent à se valoriser en se culturalisant. C’est ce mouvement de « culturalisation de l’économie » que démontrent Lash & Lury, et sur lequel je vais me pencher plus longuement.
 
L’objectif de ma recherche serait donc épistémologique, car le dispositif d’enquête et d’analyse sociologique que je souhaite développer, viendrait étudier de manière critique le dispositif marketing qui s’effectue dans la notion de « culture de marque ». En effet, les nombreux mémoires qui ont pour sujet la Brand Culture, sont des mémoires de filières marketing et de communication.   Ce qui ne permet pas de sortir de la limite tautologique et paradoxale du concept, conçu comme stratégie marketing à destination du marketing.
 
Mon objectif de recherche serait alors de démontrer la dimension aesthésis de cette « culture de marque ».
En effet, bien que les marques soient conscientes aujourd’hui que la réception est active, et qu’elles viennent stimuler la participation de leurs consommateurs avec des logiques de « partipatory culture » ou de « transmédia storytelling » de H. Jenkins ; la « culture de marque » en tant que stratégie par Daniel Bo, n’intègre pas directement cette participation et cette contribution des consommateurs. Il existe une raison à cela, ce qui n’est certainement pas un oubli de la part de l’auteur. La « culture de marque » est « vendue »comme un système stratégique aux annonceurs et aux marques par les agences de marketing et de communication. La vision que propose Daniel Bo est donc une « culture de marque » maitrisée, car construite par les agences et par les marques. Accepter que ce sont aussi les consommateurs qui construisent cette « culture de marque » est acceptable s’ils viennent uniquement participer et collaborer. Mais si les consommateurs viennent totalement investir un pouvoir dans la création de cette culture de marque,  que désigne la notion d’empowerment customer, alors la marque perd le controle de sa culture. Et évidemment, ce n’est pas ce que souhaite les marques car cela est beaucoup trop risqué pour leur image et leur santé financière. Par exemple, Lacoste qui est aujourd’hui positionné comme une marque de luxe à tendance sportwear, a été il y a quelques années , investies par les communautés banlieusardes. Cela a été pour la marque, une menace car venant dégrader leur image de luxe. C’est aussi ce qui arrive avec les marques qui sont sujettes à la contre-façon, comme la marque Louis Vuitton. Dans ce cas, la « culture de marque » n’est pas maitrisée.Mais je ne souhaite pas développer dans mon analyse, une thèse de l’empowerment du consommateur. Le pouvoir est en réalité partagé par les deux pôles, et ce sont les jeux, les résistances, les luttes et les dialectiques qui en découlent qui m’intéressent. C’est pourquoi je souhaite surtout démontrer combien la « culture de marque » possède une dimension catharsique .

Ma thèse serait donc, ce qui évoluera selon les résultats de mon dispositif d’enquête, de montrer combien la « culture de marque » est révelatrice d’un jeu de construction d’identifications, comme catégorisations et labelisations sociales aussi bien externes qu’internes. Il y a un jeu d’identification et d’auto-identification dans la poeisis de la « culture de marque » par les marques, dans la dimension praxis de ce concept, et enfin dans l’esthesis des consommateurs. La « culture de marque » est aussi productrice de consensus entre ces marques et ces consommateurs, afin de définir des normes sociales concernant cette « culture de marque ». Ainsi, la « culture de marque » serait avant tout un symptome sociétale et une construction sociale partagée.
 
 
 
Bibliographie :
 
-          JAUSS, Hans Robert. Petite apologie de l’expérience esthétique. Editions Alia, 2007,
80 pages.
 
-          BO, Daniel. Brand culture, développer le potentiel culturel des marques. Editions Dunod, coll. Tendances Marketing, 2013, 192 pages.
 
-          L. Boltanski, E. Chiappelo. Le nouvel esprit du capitalism. Editions Gallimard, coll. Essais. 1999. 843 pages.
 
-          MIEGE, Bernard. « Postface à la seconde édition » in Capitalisme et industries culturelles. Presses universitaires de Grenoble, 1978, 198 pages.
 
-          Cuche, Denys. La culture dans les sciences sociales. La Découverte, coll. « Grands Repères », 2010. 157 pages.
 
-          LASH, Scott, LURY, Célia. Global culture industry : the mediation of things. First Editions 2007. 258pages
 
-          DE CERTEAU, Michel. Invention du quotidien I, arts de faire. Editions Gallimards, coll. Folio Essais, 13/11/1990, 416 pages
 
-          JENKINS, Henri. Convergence culture : where old and new média collide. NYU Press, 01/08/2006, 368 pages.
 
-          HEBDIJE, Dick. Subculture : the meaning of style. Editions Routbelge, 1979, 195 pages.
 
-          BRUBAKER, Rogers. «Au-delà de l’identité», Actes de la recherche en sciences sociales, 2001, n° 13, p.66-85.
 
-          AVANZA, Martina, LAFERTE, Gilles. « Depasser la ‘construction d’identités’ : identification, image sociale et appartenance » in Point Critique. Pp.134-152
 
 
 
 
Notes bibliographiques : 
 
[1] JAUSS, Hans Robert. Petite apologie de l’expérience esthétique. Editions Alia. Fevrier 2007. 80 pages.
 
[2] Op. Cit p.59
 
[3] Op. Cit p.25
 
[4]  Daniel Bo « Carnet de Tendance n°4 : Du Brand content à la brand culture » in Influencia, webmagazine des tendances. Date de consultation : 21.01.2014. (En ligne)
http://www.influencia.net/fr/actualites1/media,carnettendance-4-brand-content-brand-culture,40,1797.html
 
[5] L. Boltanski, E. Chiappelo. Le nouvel esprit du capitalism. Editions Gallimard, coll. Essais. 1999. 843 pages.
 
[6] Marinne Deffrennes. « Daniel Bo : le brand content élargit le discours au delà du message commercial » in Terrafemina.com , serieusement féminin. 26.11.13. Date de consultation : 21.01.2014. (En ligne) http://www.terrafemina.com/culture/culture-web/articles/33441-daniel-bo-le-brand-content-elargit-le-discours-au-dela-du-message-commercial.html
 
[7] Les Echos « Les marques deviennent des médias » n°20869 du 14 février 2011, page 15
[8] DUNOD, éditeur de savoirs. Bo, Daniel. Brand Culture. Synopsis. http://www.dunod.com/entreprise-gestion/entreprise-et-management/marketing-communication/ouvrages-professionnels/brand-culture
 
[9] Bo, Daniel « La Brand culture : développer le potentiel culturel des marques » in Influencia, 27/03/2013.
http://www.influencia.net/fr/actualites1/media,brand-culture-developper-potentiel-culturel-marques,40,3354.html
 
[10] LEWI, Georges. « Non à la Brand Culture » in Mythologicorp, 2/04/2013
http://www.mythologicorp.com/non-a-la-brand-culture/
 
[11] BO, Daniel / Les Clés – « Les clés de la Brand Culture », 21/06/2013, http://www.cles.com/les-cles-de-la-culture (dernière consultation le 10/12/2013).
 
[12] Cuche, Denys. La culture dans les sciences sociales. La Découverte, coll. « Grands Repères », 2010.  p.150, lignes 25-27
 
[13] LASH, Scott, LURY, Célia. Global culture industry : the mediation of things. First Editions 2007. 258pages
 
[14] Inbid. P.55
 
[15] BRUBAKER, Rogers. «Au-delà de l’identité», Actes de la recherche en sciences sociales, 2001, n° 13, p.66-85.
 
[16] AVANZA, Martina, LAFERTE, Gilles. « Depasser la ‘construction d’identités’ : identification, image sociale et appartenance » in Point Critique. Pp.134-152 
M1/P8 : La "culture de marque" entre poeisis & aesthesi
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M1/P8 : La "culture de marque" entre poeisis & aesthesi

Dossier pour le cours "Pratiques communicationnelles & Cultural Studies" M1, Industries Créatives : médias, web et arts Université Paris 8 2014

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